Quoi de plus agréable que de repérer un site insolite devant lequel on passe à vélo ou en voiture depuis des années sans y prêter attent...

L'immeuble le Médoc et son bas-relief signé Véronique Filozof


Quoi de plus agréable que de repérer un site insolite devant lequel on passe à vélo ou en voiture depuis des années sans y prêter attention ? Ce fut le cas pour moi par rapport à l'immeuble Le Médoc et le remarquable bas-relief à découvrir au rez-de-chaussée, le tout sur la rue Croix-de-Seguey à deux pas de la Barrière du Médoc. 

Le déclic fut la lecture du bel ouvrage "Chaban, le bâtisseur" signé Marc Saboya, qui retrace l'héritage architectural et d'urbanisme de l'ancien maire de Bordeaux Jacques Chaban-Delmas. Le professeur d'université dédie deux pages à cet immeuble dit du CILG, référence directe à la première vocation du lieu qui était celle de recevoir les équipes du Comité Interprofessionnel Logement Guyenne Gascogne.


Marc Saboya rappelle que cet organisme à but non lucratif a été fondé en 1949 pour permettre aux salariés d'accéder plus facilement à un logement décent. À partir de 1951, depuis sa base sur les allées d'Orléans dans le centre de Bordeaux, le CILG géra la perception des taxes obligatoires payées par les entreprises de la région pour contribuer aux programmes de logement pour leurs employés, largement connu ces jours-ci comme le système 1% patronal ou 1% logement.

Cet immeuble curieux de la Barrière de Médoc, érigé entre 1966 et 1968, fut construit sur mesure pour le CILG, selon les plans conçus conjointement par les architectes Yves Salier, Adrien Courtois, Pierre Lajus et Michel Sadirac. Le bâtiment ne ressemble à aucun autre à proximité : grand, angulaire, à toit plat et comprenant cinq rangées de 18 alcôves rectangulaires entourant les fenêtres de bureau.

 
Mais la véritable pièce de résistance est à découvrir au niveau de la rue: le bas-relief susmentionné exécuté par la célèbre peintre-illustratrice Véronique Filozof (ou Filosof) en 1969.

Cette artiste, née en Suisse en 1904, passa la majeure partie de sa vie d'adulte en France et se révéla relativement tardivement : elle avait en effet 44 ans quand elle commença réellement à mettre en pratique ses dons en matière d'art naïf, après avoir été exhortée à se lancer par une connaissance, éditeur d'une revue artistique et littéraire.
Véronique Filozof en 1960,
source : Wikipedia.

Elle s'illustra notamment en réalisant des dessins en noir et blanc à l'encre de Chine (son outil de prédilection était une plume Sergent-Major), des tableaux en gouaches aux couleurs vives et d'impressionnants décors muraux. Ses œuvres ont été régulièrement présentées lors d'expositions de grande envergure, y compris lors d'un événement en 1956 où elle figurait aux côtés d'artistes comme Picasso, Miró et un certain Jean Cocteau, avec qui elle a développé un lien créatif fort et une amitié durable. Elle est décédée en 1977 dans sa ville adoptive de Mulhouse.

Un exemple de l’œuvre de Véronique Filozof : "Le Palais royal, la marchande de légumes", source: veronique-filozof.fr.
"Le Périgourdin", source: veronique-filozof.fr
Le bas-relief de l'immeuble du Médoc couvre environ un quart du rez-de-chaussée et se compose de sept panneaux verticaux (dont deux positionnés perpendiculairement au trottoir) comprenant les moulures imaginées par Véronique Filozof. Sur certains on reconnaît des sites emblématiques de la ville tels que la Grosse Cloche, la cathédrale Saint-André, la tour Pey-Berland ou les colonnes de l'Esplanade des Quinconces. Les armoiries de la ville apparaissent également, tout comme la courbe de la Garonne, qui s'écoule de panneau en panneau, offrant une forme de continuité entre les dessins. L'héritage maritime de Bordeaux est également visible par la présence d'un paquebot naviguant vers la ville.


D'autres segments comprennent des illustrations plus génériques. À repérer, entre autres : arbres, animaux, une foule de visages, divers motifs abstraits, un soleil majestueux et une fleur magnifique.


Pour compléter le tout on observe différentes citations, sans doute initialement choisies pour rappeler aux équipes CILG la raison d'être de leur quotidien, à savoir aider les gens à bâtir une vie meilleure :

"Si tu veux aimer les pauvres, ne leur donne pas du pain, construisez ensemble une tour ou un navire" – Gabriel Rosset

"Mais les yeux sont aveugles, il faut chercher avec le cœur" – Antoine de Saint Exupéry

"Pour faire des grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux" – Montesquieu

"Celui qui aime écrit sur les murs" – Jean Cocteau


"Argent, machinisme, algèbre, les trois monstres de notre civilisation." – Simone Weil

"Penser c’est facile, agir c’est difficile, agir selon sa pensée est la chose la plus difficile du monde." – Johann Wolfgang von Goethe 

"Tels les yeux des chauves-souris éblouis par l’éclat du jour, ainsi notre intelligence se trouve-t-elle éblouie par les choses les plus naturellement évidentes" – Aristote


Et sous cette citation, une dernière inscription : “Ce dessin est de Véronique Filosof 2.1969”.


Pour terminer, revenons à notre immeuble de bureaux : le CILG a quitté le bâtiment en 1977, s'installant dans de nouveaux locaux dans le quartier du Lac au nord de la ville. Aujourd'hui le Médoc abrite un certain nombre de PME et, bien que la façade ait connu des jours meilleurs (notamment l'enseigne "Le Médoc" !), le bâtiment ne se porte pas si mal pour ses 50 ans !


> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : 122 rue Croix-de-Seguey, Bordeaux

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