Je me suis récemment procuré un dépliant réalisé aux alentours de 1960 et qui détaille le projet ambitieux de construction d'un pont...

Lorsque le Pont d'Aquitaine était encore le 'Nouveau Pont de Bordeaux'


Je me suis récemment procuré un dépliant réalisé aux alentours de 1960 et qui détaille le projet ambitieux de construction d'un pont suspendu au-dessus de la Garonne entre le quartier Bacalan de Bordeaux et la commune de Lormont. Le pont, connu alors sous le nom de Nouveau Pont de Bordeaux, a finalement été inauguré en 1967 et est vite devenu un site emblématique : le Pont d'Aquitaine. 

Certes, Invisible Bordeaux a déjà consacré un dossier complet au pont il y a quelques années, ainsi qu'un clip vidéo où je partage la vue panoramique depuis les pistes cyclables ! Mais qu'allais-je apprendre de plus en parcourant ce curieux dépliant attribué aux Ponts et Chaussées de la Gironde et comprenant une quantité impressionnante d'informations, de données, de cartes et de schémas, le tout reproduit à partir d'un document manuscrit ? Et, 50 ans après son inauguration, le pont était-il encore la réplique exacte de tous ces dessins techniques ?

Pour commencer, on y découvre le montage financier du projet. Le pont et le viaduc rive gauche devaient coûter 97 millions de nouveaux francs (la France venait à peine de changer de système monétaire), l'équivalent aujourd'hui de 154 millions d'euros (en se basant sur le mode de calcul prenant compte de l'inflation conçu par l'Insee). L’État allait contribuer à hauteur de deux-tiers du montant, le restant étant partagé entre le département de la Gironde et la ville de Bordeaux. En y rajoutant la bretelle d'accès rive droite, le projet franchissait la barre symbolique des 100 millions de francs.

Le dépliant recense également les quantités principales des différents matériels servant à la construction du pont. Pour n'en citer que quelques-uns de ces chiffres, retenons les 132 000 mètres cube de béton armé et ordinaire, 8 500 tonnes de béton armé, 1 900 tonnes de câbles porteurs et suspentes, ou encore 4 350 tonnes d'acier laminé pour les charpentes. Dans sa configuration initiale, la chaussée du viaduc et du pont représentait une surface totale de 25 000 mètres carrés.


Ceci fait partie des éléments qui ont sans doute évolué avec le temps : le dépliant rappelle qu'à l'origine, le pont comprenait une chaussée pour quatre files de circulation (sur une largeur totale de 14 mètres), puis deux pistes cyclables de 1,50m chacune, avec une revanche latérale de 0,40m entre ces pistes et la chaussée. À cela s'ajoutaient deux trottoirs d'1,10m. Lors du remplacement de l'intégralité de la structure de suspension du pont entre 2000 et 2005, le dispositif a été revu pour intégrer 2x3 files de circulation, occupant ainsi tout l'espace entre les pylônes. Le tablier a été élargi de chaque côté et la piste cyclable a été alignée avec les pylônes ; au niveau de ceux-ci, la piste a été déviée via des plates-formes permettant de les contourner par l'extérieur. Les trottoirs pour piétons avaient déjà été supprimés en 1980 pour permettre la création d'une cinquième voie centrale de circulation, et l'accès demeure définitivement interdit aux piétons de nos jours sur le Pont d'Aquitaine.

Cette coupe montre clairement la localisation des pistes cyclables et des trottoirs.
Cette même configuration visible sur le pont peu après son inauguration ; à noter les piétons du côté droit ! Photo reproduite ici avec l'aimable autorisation de son auteur, Jean-Claude Déranlot. Merci Jean-Claude !
Aujourd'hui les pistes cyclables (derrière le grillage rouge) contournent les pylônes par l'extérieur.
En parcourant les croquis techniques, on se rend compte que les sommets des pylônes ont dû été revus entre la conception d'origine et la construction, en voyant notamment la forme des parties horizontales qui forment le trait d'union entre les extrémités des piliers.


Chose rassurante, les calculs des ingénieurs quant à la pente du viaduc et la courbe du système de suspension semblent encore proche de la réalité !




Le tablier déborde au niveau de la piste cyclable, alors que le tout était d'abord aligné. 
Certains schémas, tels que cette coupe du massif d'ancrage rive gauche, proposent un aperçu insolite de l'installation bien que, en regardant le haut du massif, il est probable que le système ait été quelque peu renforcé au début des années 2000, voire lors des nombreuses interventions de maintenance et de réparation pendant les années 1980.


Le dépliant propose également un gros plan sur les câbles porteurs d'origine, composé chacun de 37 câbles élémentaires d'un diamètre de 78,5mm. Pour aller plus loin, chaque câble élémentaire était constitué de 208 fils d'acier de 4,7mm ! En tout, chaque câble porteur (de 48cm de hauteur et 55cm de largeur) pesait 1,15 tonne au mètre. Lors de la refonte du 21e siècle, les principaux changements ont été le diamètre des câbles individuels (72,6mm) et des fils d'acier associés (désormais 127 fils de 4,1mm), ainsi que les dimensions totales des câbles porteurs (aujourd'hui 45cm x 51cm).


À gauche : un câble porteur passant par un collier de suspente. À droite, ce même câble rejoint le massif d'ancrage, le même massif qu'on a aperçu depuis un angle différent plus haut dans l'article.
Enfin, bien que le pont lui-même n'ait pas trop changé d'aspect depuis les années 1960 (encore heureux !), l'infrastructure routière tout autour est méconnaissable. Prenons, par exemple, le modeste carrefour giratoire permettant de relier le pont à l'axe d'accès depuis Bordeaux-centre, ainsi qu'aux "futurs boulevards extérieurs" (ou "la Rocade" pour les intimes !). Au fil des années, le carrefour s'est transformé pour devenir un véritable spaghetti urbain, notamment alimenté par le trafic routier drainé par la zone commerciale, hôtelière et d'expositions du quartier du Lac.

Le plan des années 1960 et la réalité de 2017 (vue depuis Googlemaps) : le carrefour giratoire très minimaliste est un souvenir lointain.
Mais revenons à ce Pont d'Aquitaine, qui ne se porte pas si mal pour un néo-quinquagénaire ! Malgré l'arrivée d'homologues nettement plus tendances, et malgré le fait qu'il ne jouira jamais du même sentiment d'appartenance de la part des Bordelais que le Pont de Pierre, le Pont d'Aquitaine continue à dominer l'horizon au nord de la ville. Et nul ne pourra lui enlever son statut à part de portail entre la ville et les débuts de l'estuaire de la Gironde (quelques kilomètres à peine en aval), et d'ultime moyen en dur pour traverser la Garonne avant l'océan Atlantique.

 
> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : Pont d'Aquitaine, Bordeaux/Lormont
> This article is also available in English!
> Merci à Frédéric Llorens pour la précision sur la suppression des trottoirs pour piétons !
> Et n'oubliez pas de découvrir le panorama depuis le haut du Pont d'Aquitaine grâce à ce clip !

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