Chaque jour, des milliers de véhicules passent quai de Paludate devant le Château Descas, un édifice qui est simultanément parmi les plu...

Château Descas : le chai devenu boîte de nuit, désormais coquille vide


Chaque jour, des milliers de véhicules passent quai de Paludate devant le Château Descas, un édifice qui est simultanément parmi les plus spectaculaires et les plus mystérieux du centre-ville de Bordeaux. Une visite s'imposait !

La partie centrale, aujourd'hui vide de toute activité, est principalement connue comme le siège historique des négociants en vin Descas ; c'est le fondateur de cette grande maison, Jean Descas (1834-1895), à l'origine un tonnelier de l'Entre-Deux-Mers devenu riche négociant (ainsi que maire de sa ville d'origine, Camiran), qui y installa sa société en 1881, après une vingtaine d'années de belles réussites. La localisation, près de la gare Saint-Jean, était particulièrement stratégique et permit à Descas d'avoir un avantage concurrentiel sur ses homologues traditionnellement installés davantage au nord dans le quartier des Chartrons. De plus, alors que ces derniers se focalisaient sur l'exportation des grands crus, Descas privilégiait la distribution de petits vins en France, une raison de plus pour s'installer dans ce quartier près du réseau ferroviaire.

La propriété rachetée aux enchères par Jean Descas fut, depuis 1661, le site du premier grand centre hospitalier de la ville, Hôpital de la Manufacture, ancêtre du CHU (Centre Hospitalier Universitaire). Pendant de nombreuses années, cet établissement servit également de refuge pour enfants abandonnés. Autour de la Révolution de 1789, près de 900 enfants y étaient hébergés.

Le lieu tel qu'il était : l'Hôpital de la Manufacture dans une lithographie de Légé d'après Sewrin (vers 1830), visuel emprunté au site http://bordeauxmaritime.free.fr, fruit des travaux du regretté Hervé Guichoux.
Jean Descas fit appel à l'architecte Alphonse Ricard afin de transformer ce lieu en symbole de sa réussite de nouveau riche, d'où la façade si spectaculaire qu'on peut encore admirer aujourd'hui, riche en détails : mascarons, caryatides symbolisant Mercure et la vigne, bas-reliefs en forme de dragons, les initiales de Jean Descas au-dessus de l'entrée principale, cheminées aux motifs élaborées, de nombreux jolis petits balcons et, cerise sur le gâteau, une tour d'observation vertigineuse.

Il y a tant de détails à observer, depuis la tour d'observation aux initiales de Jean Descas ou encore le visage d'un homme qui se noie paisiblement dans des grappes de raisins.
Pendant les années Descas, le lieu était aussi impressionnant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Sur une superficie de 10 000 mètres carrés, Descas pouvait stocker jusqu'à 1,5 million de bouteilles dans un entrepôt accessible par l'arrière du bâtiment, via l'ancienne cour de l'hôpital. Un système alors ultra-moderne composé d'ascenseurs et de wagons sur rails facilitait la manutention, permettant à Descas d'être plus efficace que ses concurrents des Chartrons, dans leurs locaux plus orthodoxes.

L'entreprise et son chai fleurirent pendant près d'un siècle, avant la reprise de la société par la famille Merlaut en 1979. La société Descas déménagea alors vers un entrepôt plus moderne sur la rive droite non loin du quai de Brazza. Ce lieu est encore aujourd'hui le siège social du groupe Descas, dont l'activité comprend désormais non seulement la production et la distribution de vins mais aussi la location de locaux professionnels.

Mercure et Vigne.
Le château Descas appartient encore au groupe (les chais proprement dits furent démolis en 1984), mais pour de nombreux Bordelais il est aujourd'hui synonyme de vieux souvenirs de virées nocturnes ! Car, en 2001, le lieu fut transformé en cabaret-nightclub, le Caesar’s, fraichement délogé d'un local sur les quais dans un hangar voué à la démolition. Le Caesar's aurait souhaité devenir locataire principal mais Denis Merlaut n'adhéra pas à ce scénario. La Ville s'en mêla - le conseil municipal suivait de près le devenir de Caesar's, vraisemblablement parce que le directeur était un proche de plusieurs conseillers - et devint locataire des murs avant de sous-louer l'espace au Caesar's pendant les deux ans du bail.

Le château devint ensuite une discothèque dénommée le Rikiki Palace, et reçut de nombreux DJ vedettes dont Bob Sinclair. Le dernier chapitre en date est celui du Mystic, un restaurant-club décrit par certains comme un « lieu hanté » où l'accueil était assuré par des nains et un masque géant présentait les artistes. Le Mystic ferma ses portes en 2007.

Depuis cette époque, une bataille judiciaire oppose Descas et la ville de Bordeaux autour de travaux non-autorisés effectués dans l'immeuble (dont la destruction du troisième étage et l'ajout de structures de soutènement métalliques), constatés lors de l'état des lieux en fin de bail en 2003. Descas réclame 6 millions d'euros pour la remise en état du lieu, qui est pourtant resté ouvert pendant l'époque Rikiki Palace et Mystic.

En attendant l'issue judiciaire, le lieu est aujourd'hui une coquille vide, bien qu'entourée par deux ailes occupées par diverses sociétés, associations et même un bar, le Point Rouge, sans oublier la belle résidence pour personnes âgées construite derrière l'édifice principal. On peut voir sur GoogleEarth que ces bâtiments encadrent un magnifique square aussi verdoyant que symétrique.

La vue depuis GoogleEarth. Lors de mon prochain tour dans le quartier, je tenterai de passer par derrière et la rue... Jean Descas!
Cette vue aérienne qui date de la période entre 1950 et 1965, à découvrir sur le formidable site http://remonterletemps.ign.fr, montre clairement la localisation de l'entrepôt derrière le château.
Revenons devant le bâtiment, où l'aspect hanté du lieu est souligné par le panneau « restaurant club » toujours visible au-dessus de l'entrée principale, ainsi que par les « vitres » (sur tout le premier étage et une partie du rez-de-chaussée) qui sont en fait des panneaux de bois peints imitant le verre des fenêtres ; il s'agit de trompe l’œils !

Trompe-l’œil au rez-de-chaussée : non, ceci n'est pas une fenêtre. Et ceci n'est plus un restaurant club.
Mais tout n'est pas forcément perdu. Sur place, en regardant par une (vraie) fenêtre au rez-de-chaussée, je pus voir de la lumière et des silhouettes en pleins travaux. Espérons que la fin de la bataille juridique marquera le renouveau du château Descas !

La vue par la fenêtre (pas bien, pas bien...) vers les travaux en cours entre les colonnes de marbre.
> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : Château Descas, quai de Paludate, Bordeaux
> Lors de ce reportage, j'étais accompagné par Noémie et Sarah, toutes deux étudiantes de l'école de journalisme IJBA. Merci de m'avoir suivi lors de cette matinée on ne peut plus fraîche et d'avoir réalisé ce beau reportage :
> Enfin, le Château Descas est un sujet qui m'a été suggéré par différents lecteurs, dont Byron Sharp et Karen Ransom, qui suivent le blog depuis l'Australie. J'espère que le dossier vous aura plu, Byron et Karen !  
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