La photo ci-dessus aurait pu être prise dans n'importe lequel magasin de jardinage ou de bricolage à travers toute la France : des...

Bouillie bordelaise : le pesticide bleu aux origines médocaines


La photo ci-dessus aurait pu être prise dans n'importe lequel magasin de jardinage ou de bricolage à travers toute la France : des étagères entières remplies de paquets de bouillie bordelaise. Ne sachant pour ainsi dire rien sur ce célèbre pesticide bleu, je me devais d'enquêter !

Mais qu’appelle-t-on la bouillie bordelaise ? Dans de telles situations, il faut savoir assumer et se tourner vers la page Wikipédia associée. Le premier paragraphe précise que ce pesticide employé dans des vignobles, vergers et jardins est « fabriqué par neutralisation d'une solution de sulfate de cuivre et par de la chaux éteinte. La bouillie bordelaise exerce son effet par le biais des ions cuivre du mélange. Ces ions affectent des enzymes dans les spores des champignons (bénéfiques ou parasites) de manière à empêcher leur germination. C'est pour cette raison que la bouillie bordelaise doit être utilisée de manière préventive, avant que la maladie fongique ait frappé ».

Alexis Millardet
(source : baladesnaturalistes).
Pour remonter la piste girondine et retrouver les liens avec Bordeaux, il faut rembobiner jusqu’à la fin du 19e siècle, époque à laquelle des maladies de la vigne frappèrent la France suite à l’importation involontaire de champignons sur des spécimens de vigne ramenés depuis le continent américain. Les vignerons avaient alors pour ennemis le phylloxéra, le mildiou et autres champignons destructeurs.

La communauté scientifique prit le sujet très au sérieux. Alexis Millardet (1838-1902) fut l’un des chercheurs les plus actifs. En 1882, cet ampélographe (expert des vignes et botaniste) et professeur à l’université de Bordeaux se promenait dans le Médoc et remarqua des vignes qui avaient l’air d’être en excellente santé. Il se trouvait à Saint-Julien-Beychevelle, plus précisément sur les terres du château Ducru-Beaucaillou. Il se renseigna alors auprès d’un certain Ernest David, régisseur du domaine, qui lui expliqua qu’en Médoc on répandait un mélange de sulfate de cuivre et de chaux sur les pieds de vigne en bordure des routes afin de dissuader les maraudeurs qui dérobaient les raisins. M. Millardet commença à réfléchir aux propriétés préventives de ce mélange.

La château Ducru-Beaucaillou, où commence l'histoire de la bouillie bordelaise.
Avec l’aide d’Ulysse Gayon, un autre chercheur et professeur de chimie, Alexis Millardet mena diverses expériences chez lui sur des pieds de vigne. Encouragés par les premiers résultats, les scientifiques obtinrent l’autorisation de mener des essais à plus grande échelle au Château Ducru-Beaucaillou ainsi qu’au Château Dauzac à Labarde, quelques kilomètres au sud, appartenant au même propriétaire, Nathaniel Johnston, et régi également par Ernest David. Ces expériences menées entre 1883 et 1885 furent concluantes, tout comme celles conduites en Bourgogne à cette même période par d’autres scientifiques. L’année suivante, le mildiou fut jugulé. Les deux scientifiques purent ainsi perfectionner ce mélange qui allait devenir la bouillie bordelaise, et dont la constitution n’a guère évolué depuis 130 ans.

La recette est dans le domaine public. Si vous souhaitez fabriquer de toutes pièces 10 litres de bouillie (plutôt que d’acheter un paquet de solution toute faite), voici les étapes à suivre tels qu’elles sont détaillées sur le site Ooreka. Avant de démarrer, veillez à avoir à votre disposition une paire de bons gants, un seau de 10 litres, un saut en plastique de 15 litres, un bâton, 300 grammes de chaux, 200 grammes de sulfate de cuivre et 10 litres d’eau.

> Étape 1 : enfilez vos gants.
> Étape 2 : dans le seau de 10 litres, fabriquez un lait de chaux en faisant dissoudre 300 g de chaux éteinte dans 6 litres d’eau. Remuez avec un bâton.
> Étape 3 : dans le seau en plastique de 15 litres, délayez 200 g de sulfate de cuivre dans 4 litres d’eau.
> Étape 4 : neutralisez la solution de sulfate de cuivre en lui ajoutant lentement le lait de chaux.
> Étape 5 : avec le bâton, remuez, remuez, remuez !
> Étape 6 : laissez reposer 24 heures.
> Étape 7 : pulvérisez selon vos besoins.

Bien entendu, avec tant de réactions chimiques à gérer, le maniement de la bouillie bordelaise présente certains risques, notamment d’irritation de la peau ou encore de conjonctivite en cas de contact avec les yeux. Les effets peuvent être plus graves encore : en cas d’ingestion la bouillie bordelaise peut provoquer des irritations nasales voire des difficultés respiratoires. Par ailleurs, le pesticide bleu est identifié comme la source d’un syndrome pulmonaire dit « Vineyard Sprayers’ Lung » chez des ouvriers viticulteurs portugais. Cette « pneumopathie interstitielle » est, selon des rapports médicaux (voir www.ncbi.nlm.nih.gov), « caractérisée par l'apparition de granulomes histiocytaires et de nodules fibrohyalins contenant du cuivre ». Résultat : des insuffisances respiratoires souvent fatales. Vous voilà prévenu.

Feuille de vigne de la propriété Ducru-Beaucaillou.
Néanmoins, on continue de trouver des paquets de bouillie bordelaise dans les abris de jardin de jardiniers, qu’ils soient confirmés ou du dimanche. En suivant les traces d’Alexis Millardet jusqu’aux vignes du Château Ducru-Beaucaillou, où l’histoire de la bouillie bordelaise commença, j’ai observé des traces blanches d’un pesticide sur certaines feuilles. Je ne sais pas s’il s’agissait d’une variante « incolore » de la bouillie bordelaise mais je déclare que les vignes de cette propriété sont encore et toujours en très bonne santé !

> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : Château Ducru-Beaucaillou, Saint-Julien-Beychevelle
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Invisible Bordeaux découvrit récemment l'une des installations artistiques les plus insolites de la ville (et, il s'avère, l&...

La Maison aux personnages : fenêtres sur l'art en plein milieu d'un carrefour

Invisible Bordeaux découvrit récemment l'une des installations artistiques les plus insolites de la ville (et, il s'avère, l'une des plus controversées) : une maison située sur un bout de terrain bordé de tous côtés par des rues passantes ainsi que par la ligne A du tramway. Bienvenue à la Maison aux personnages !

Inaugurée au mois d'octobre 2009, cette œuvre est la création des artistes russes Ilya et Emilia Kabakov. Elle consiste en une maison à étage comprenant différentes pièces dont chacune a été décorée et mise en scène comme si elle était habitée par un personnage imaginaire. Les visiteurs peuvent circuler autour de l'extérieur de la maison et regarder par les fenêtres (y compris celle qui donne sur la pièce au premier étage, accessible par le biais d'un escalier métallique) afin de découvrir les diverses natures mortes. Des panneaux contextuels aux textes poétiques permettent de mieux cerner les habitants virtuels de la maison. 

Ceci est la Maison aux personnages, bien qu'à première vue il n'y ait rien pour désigner le lieu comme une œuvre d'art.
Au fond à gauche : l'hôpital Pellegrin.
Tout comme le pantalon de jogging géant couvert dans un précédent article sur le blog, la Maison aux personnages fut commandé dans le cadre d'un programme d'installation d'œuvres d'art à différents endroits le long du réseau de tramway. La maison et le square qui l'entoure représentent vraisemblablement le plus ambitieux de ces projets. Le lieu fut un immense chantier pendant sept mois avant son inauguration en présence des artistes, du maire de Bordeaux Alain Juppé, du ministre de la Culture de l'époque Frédéric Mitterrand, et du président de ce qui était alors la Communauté Urbaine, Vincent Feltesse.

Ce qui nous amène au caractéristique le plus étonnant de l’œuvre : cette maison climatisée d'une superficie de 148 mètres carrés et son jardin furent construits de toute pièce pour la réalisation de cette installation artistique. C'est en partant des croquis réalisés par Ilya et Emilia Kabakov (dont certains sont visibles ici) et en s'inspirant de l'esprit des échoppes et des maisons de ville bordelaises que la maison fut conçue par les architectes Samira Aït-Mehdi et Sylvain Latizeau, puis livrée par l'entreprise DV Construction.

Étant donné les frais associés (entre 500 et 600 000 euros), le projet est loin d'avoir fait l'unanimité. Emmanuelle Ajon, conseillère municipale d'opposition de Bordeaux et vice présidente de la Gironde, déclara notamment dans un billet intitulé « Jusqu'où peut-on aller au nom de la culture ? » qu'il était « indécent de proposer aux personnes sans logement de pouvoir regarder de dehors à quoi peut ressembler la chance d’avoir un  toit [...] et indécent au prétexte de l'art de dépenser plus de 560 000 euros pour un logement qui ne sera jamais occupé mais juste exposé ».

En regardant par la fenêtre.
Un reportage publié par Direct Matin Bordeaux7 sonda les riverains qui déclaraient ne jamais voir personne visiter ce lieu qui « bouche la vue et dans laquelle on ne peut pas entrer, [...] alors que des SDF dorment à côté ». Enfin, la page dédiée sur le site Yelp comprend un commentaire posté par quelqu'un qui habite en face de « cette maison qui a beaucoup fait jaser dans le quartier. Il n' y a jamais personne, le soi-disant square est infernal vu que les voitures tournent sans arrêt autour. Difficile de venir s'y reposer ou méditer sur l’œuvre ! [...] Une œuvre peut-être intéressante, mais qui reste invisible ».

Le mot invisible fut comme un appel du pied et c'est ainsi que, prêt à relever ce défi, je parvins à me rendre aux abords de la maison afin de pouvoir témoigner de ce qu'on peut voir à travers les fenêtres. Je puis ainsi déclarer que les pièces qui me semblèrent les plus intéressantes sont celles intitulées En barque sous les voiles (avec son joli voilier en bois), La soif d’inventions (qui ressemble à l'atelier de travail d'un savant fou, rempli de guirlandes et divers projets en cours) ou encore Ne jamais rien jeter (et toute sa collection de collections, à savoir tout un tas d'objets classés et étiquetés, ainsi qu'une série de questions ouvertes écrites sur des étiquettes suspendues par des fils). Parmi les autres pièces, retenons le minimalisme surprenant de Paradis sous le plafond à l'étage, où il n'y avait guère plus qu'une échelle et un fauteuil. Le restant était constitué de pièces à vivre ou à dormir, et le simple fait de regarder par la fenêtre donnait le sentiment d'être un peu voyeur, quoiqu'un voyeur qui ne sait pas trop pourquoi il est là à regarder par ces fenêtres.

Quatre des pièces : "En barque sous les voiles", "La soif d'inventions", "Ne jamais rien jeter" et "Le paradis sous le plafond".
À part ça, j'en ai presque oublié d'évoquer les artistes, tous deux aux origines soviétiques mais aujourd'hui basés à New York. Qui sont-ils ? Ilya Kabakov est né en 1933 à Dnipro, la quatrième ville de ce que l'on connaît à présent comme l'Ukraine. Pendant de longues années, son activité principale fut celle d'illustrateur pour livres d'enfants. C'est à partir de 1980 qu'il commenca à faire carrière comme peintre et écrivain. En 1988 il se mit à travailler avec Emilia Lekach. Celle qui allait devenir son épouse est également née à Dnipro, en 1945. Elle étudia la musique et l'espagnol à Moscou avant de s'installer en Israël puis à New York, où elle devint conservatrice et marchande d'art.
Les Kabakov,
source photo : artnet.com

Le couple collabore depuis et jouit maintenant d'une renommée internationale ; parmi les récompenses qui leur ont été décernées, notons l'ordre du Chevalier des Arts et des Lettres en 1995, ou encore le prix Oskar Kokoschka en 2002. Leurs œuvres, qui « fusionnent les objets du quotidien avec des éléments conceptuels » (selon artnet.com) ont été présentés, entre autres, au Museum of Modern Art de New York, au musée Stedelijk à Amsterdam ou au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg. Cette installation bordelaise n'est qu'une parmi plusieurs réalisées dans le cadre de commandes publiques passées en Europe et ailleurs

Comment définir la Maison aux personnages de Bordeaux ? Parmi les adjectifs utilisés dans ce dossier, nous trouverons les mots invisible, controversé et indécent, mais aussi insolite, imaginaire, poétique et intéressant. Comme pour toute œuvre d'art, il peut y avoir autant de définitions que de personnes qui la découvrent. C'est peut-être ainsi à votre tour de vous y rendre afin d'en faire votre propre opinion !

> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux map : La Maison aux personnages, place Amélie Raba Léon, Bordeaux.

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En regardant la photo sur la gauche, les lecteurs familiers avec Bordeaux ont reconnu la Colonne des Girondins, qui se situe à l’extrémit...

L’exposition maritime internationale de 1907 : quand Bordeaux était la capitale maritime du monde

En regardant la photo sur la gauche, les lecteurs familiers avec Bordeaux ont reconnu la Colonne des Girondins, qui se situe à l’extrémité ouest de l’esplanade des Quinconces. Ce qui est plus étonnant, c’est l’extravagant « Grand Palais » sur la droite. L’éphémère édifice n’est que l’un de ceux construits spécifiquement pour les festivités qui se sont tenues entre mai et novembre 1907 : nous vous présentons l’Exposition maritime internationale de Bordeaux !

Cette fête de six mois a été portée par la Ligue Maritime Française, une institution qui visait à développer et promouvoir l’armée du pays et l’industrie maritime marchande. La décision a été prise d’ouvrir l’exposition à d’autres pays, beaucoup d’entre eux ont accepté d’y prendre part. C’était également une excellente opportunité de commémorer le centenaire de la marine à vapeur. À partir de cette idée de départ, l’évènement s’est ouvert à d’autres secteurs d’activités ainsi que la tenue de cinquante conférences de commerce.

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Nous nous trouvons à Mérignac, entre la salle de spectacles du Pin-Galant et sa station de tramway et, oui, nous sommes devant une gran...

Bien dans son jogging et ses mocassins du côté de Mérignac

Nous nous trouvons à Mérignac, entre la salle de spectacles du Pin-Galant et sa station de tramway et, oui, nous sommes devant une grande sculpture représentant les jambes et les pieds d’un homme, vêtus d’un pantalon de jogging et de mocassins à pampilles. Mais encore ?

Cette œuvre artistique plutôt insolite est justement intitulée « Pantalon de jogging et mocassins à pampilles ». Inaugurée le 12 juillet 2014, elle fut réalisée par un duo d’artistes : Daniel Dewar et Grégory Gicquel. La commande fut passée dans le cadre d’un programme visant à installer des œuvres d’art à divers lieux le long du réseau du tramway de la métropole, initiative coordonnée par le ministère de la culture et les directions régionales pour la création artistique et les affaires culturelles. 

D’échelle 4/1, l’œuvre mesure fort logiquement quatre mètres de haut. En commençant par le bas, les pieds reposent sur un socle épais de 90 centimètres en granite noir de Lanhélin en Bretagne. Les beaux mocassins et leurs pampilles sont en marbre poli, plus précisément en marbre Caunes-Minervois du Languedoc. Pour compléter le tout, n'oublions surtout pas l’élégant pantalon de jogging, doté d’une poche arrière très pratique et d’une ceinture type cordon, le tout en granite gris des Côtes d’Armor en Bretagne. 

Différentes parties de l’œuvre. Il faut reconnaître que les mocassins et le pantalon semblent drôlement confortables.
Qui sont les deux artistes auxquels on doit cette drôle de création ? Daniel Dewar, originaire du Forest of Dean dans le sud-ouest de l’Angleterre, est né en 1976 et rencontra Grégory Gicquel, son aîné d’un an et originaire de Saint-Brieuc en Bretagne, lorsqu’ils étaient tous les deux étudiants à l’École des Beaux-Arts de Rennes. Ils en sortirent diplômés en 2000 et collaborent désormais depuis leur base parisienne.

Grégory Gicquel et Daniel Dewar,
source photo : www.actuart.org
Les deux artistes sont aujourd’hui reconnus sur la scène internationale et conçoivent des œuvres qui s’inspirent de et mettent en scène des objets de notre quotidien (comme par exemple des baignoires, des lavabos ou des bidets), en mélangeant les styles, les périodes et les techniques ; Dewar & Gicquel sont tout autant à l’aise avec du bois sculpté, de la pierre taillée, de l’argile modelée ou encore de la tapisserie tissée. Récompensés par le très prestigieux prix Marcel Duchamp en 2012, leurs travaux sont très souvent dotés d’une pointe d’humour.

On retrouve cette touche d’humour pince sans rire dans l’œuvre « Pantalon de jogging et mocassins à pampilles », qui met en scène deux objets vestimentaires qui, voyageant dans le temps, sont tantôt en vogue, tantôt dépassés. J’y étais le jour du décès de l’emblématique leader cubain Fidel Castro, donc le fait de me retrouver devant un énorme pantalon de jogging semblait coller à l’actualité. Quoiqu’il en soit, cette œuvre est un véritable ovni dans le paysage mérignacais, et est donc immanquable si vous vous trouvez dans le quartier ! 

La sculpture en forme de pantalon est clairement visible depuis les trams de la ligne A.
> Localiser sur la carte Invisible Bordeaux : Pantalon de jogging et mocassins à pampilles, avenue Dorgelès, Mérignac.
> Un impressionnant dossier de presse fut réalisé à l’occasion de l’inauguration de l’œuvre en 2014 et comprend le CV détaillé de Dewar & Gicquel, une interprétation de la sculpture qui est bien plus poussée et poétique que la description ci-dessus, et quelques photos de l’élaboration de l’œuvre dont celles-ci. C'est à retrouver ici (la photo prise dans l’atelier des artistes figurait sur le site art-flox.com). 

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